Parole de Jennifer Lescouët,
photographe à fleur de peau

Parole de photographe, c’est un entretien privilégié avec un photographe professionnel au savoir-faire affirmé. L’occasion de découvrir le parcours, le quotidien et les réalisations d’un photographe inspirant.

Pour ce vingt-septième Parole de Photographe, Jennifer Lescouët se livre sur son parcours de photographe à la sensibilité exacerbée.

Son parcours

Bonjour Jennifer, nous sommes très heureux de t’accueillir dans ce vingt-septième Parole de Photographe. C’est parti pour la présentation d’usage !

Salut Pierre-Louis. Tout d’abord, merci à toi et à Benoît pour cette jolie aventure que vous nous offrez.

Moi c’est Jennifer. Je viens de la région parisienne et j’ai déménagé récemment en Charente-Maritime, à Jonzac. C’est la pleine campagne ici, et je souhaite prochainement me rapprocher de la côte, vers Royan… Les vaches sont sympas mais l’océan me plaît un peu plus !

J’aime le soleil et me balader pour profiter de la nature qui nous entoure : je marche énormément. Avant la crise sanitaire, l’un de mes passe-temps préférés était la découverte de nouveaux restaurants avec mon chéri. Nous sommes de véritables épicuriens ; nous aimons rire, rencontrer de nouvelles personnes et partager des choses avec elles.

J’apprécie l’art en général, la peinture, les sculptures, la littérature et la musique.

Effectivement, pour la reprise de tes virées gastronomiques, il va falloir encore attendre un peu. Revenons à la photo : quelle est ta relation avec la photographie, et comment s’est-elle initiée ?

La photographie, je la perçois comme le fauteuil roulant à son invalide ; la canne à son aveugle.

Je n’ai pas toujours été sourde, je suis née entendante. C’est suite à un accident qui m’est arrivé lors de nos vacances estivales en Charente-Maritime avec mes parents. À l’époque, je n’avais que huit ans et je ne réfléchissais pas aux conséquences que pourraient avoir mes sauts sur un lit pliant en forme de meuble rabattable. C’est dans un choc très violent qu’il s’est rabattu deux fois sur moi : une première fois en bas de mon dos, et une deuxième fois, encore plus violemment, au niveau de ma nuque.

Un mois après, l’ORL annonçait à mes parents que j’étais atteinte d’une surdité profonde bilatérale. Seule sourde de la famille, mes proches ont été choqués. Ils m’ont soutenue comme ils ont pu, et nous avons suivi le chemin préconisé par l’équipe médicale. Étant encore une enfant, je n’ai pas réalisé tout à fait ce qu’il m’arrivait. Je ressentais uniquement un détachement avec tout ce que j’avais connu, jusqu’à ce qu’on me pose des appareils auditifs sur les oreilles. Tout a réellement changé à partir de ce jour-là. J’ai commencé à m’enfermer dans mon silence. Les mots m’ont quittée. Je n’entendais plus ma voix et personne ne comprenait ce que j’étais en train de vivre. Alors je restais muette la plupart du temps. Je laissais les autres parler à ma place.

Et puis un jour, j’ai trouvé comment m’exprimer de nouveau.

J’éprouvais un terrible ennui à chaque fois que nous devions aller dans la famille, ou recevoir des gens à la maison. Il s’avère que je n’étais absolument pas fan de ce genre de réunions familiales. Tout simplement parce que comme n’importe quelle personne sourde, je devais fournir des efforts pour lire sur les lèvres de mon interlocuteur et cela m’épuisait  considérablement. Et quand c’était plusieurs interlocuteurs… Vous imaginez que je perdais très facilement pieds : je n’ai que deux yeux, c’est déjà très difficile de lire sur les lèvres, mais alors quand il faut lire sur plusieurs lèvres à la fois !

Le plaisir de se retrouver ainsi entouré était pour les autres. Il me fallait donc une occupation pendant ces “réunions” qui puisse me donner du plaisir, à moi aussi. Alors j’ai emprunté l’appareil photo de mes parents et j’ai commencé à saisir l’instant présent un peu partout autour de moi. Prendre des photos était devenu un véritable échappatoire à ces divers moments d’ennui-torture. Un beau jour, ma mère m’a offert mon premier appareil reflex numérique : j’étais aux anges ! C’est ainsi que j’ai commencé à me lancer instinctivement dans la photographie de portraits. Je prenais les gens en photo. Je ne cherchais plus à savoir ce qu’ils racontaient… Je cadrais le viseur sur eux et j’attendais leurs mimiques. Je m’amusais beaucoup à capturer les émotions qui se dégageaient de leur expression corporelle. J’ai très vite développé un réel attrait pour retranscrire les émotions de chacun et donc la photographie dite sociale.. et les reportages.

Les images me suivaient au fur et à mesure que je rentrais dans l’adolescence ; puis dans le monde des jeunes adultes.

Ce que tu racontes est vraiment bouleversant. La photographie semble vraiment avoir été une thérapie, comme une excroissance sensorielle, que tu t’es appropriée comme aucun autre photographe ne le pourrais en temps normal. Dès lors, comment s’est passée ta professionnalisation ?

Mon parcours est quant à lui assez chaotique “à cause” de mon handicap.

Comme j’adorais lire et écrire, j’ai tout d’abord souhaité devenir professeur de Français pour les Sourds, mais cela s’avérait assez compliqué pour moi de suivre le cursus de l’Université en Licence de Lettres. On m’avait jugée assez “entendante” pour ne pas me donner de tiers temps supplémentaire auquel j’avais normalement le droit comme toute personne sourde/malentendante ; et la présence d’interprète n’était pas un seul instant envisageable.

J’ai ensuite voulu faire un BTS Assistante de Direction et ce fût la même histoire : outre le fait que la Directrice m’ait clairement demandé pourquoi je voulais passer ce diplôme alors que je suis sourde. L’idée de devoir m’accorder la présence d’un interprète la mettait extrêmement mal à l’aise “pour les autres élèves”.

J’ai été admise pour un BTS Communication, que j’ai failli abandonner plusieurs fois mais que j’ai finalement décroché. J’ai travaillé pendant un an en tant qu’Assistance Communication pour une régie publicitaire et puis… J’ai rencontré mon chéri. Celui qui s’avérait être ma muse m’a poussée à reprendre des études, mais cette fois-ci en école de photographie.

Seule avec un enfant en bas âge, je ne me voyais absolument pas reprendre des études. Et encore moins espérer un jour pouvoir vivre de ma passion. En effet, les images continuaient de faire partie intégrante de mon quotidien. Je photographiais instinctivement et j’avais appris à me servir de Lightroom et Photoshop en autodidacte.

Admise à l’école Efet, j’étais la plus heureuse du monde ! Je regrettais de ne pas avoir fait ça plus tôt. J’ai investi dans du matériel et j’étais dorénavant l’heureuse propriétaire d’un 5D Mark III. J’ai commencé à me constituer une petite clientèle, et puis le bouche à oreille a fait son effet. Mes clients étaient heureux et je veillais à ce qu’ils aient des souvenirs de qualité. Je me donnais à fond pour chaque shooting, chaque reportage, qu’il s’agisse d’anniversaires ou de mariages. J’étais très perfectionniste dans les images que je leur rendais. Je voulais un sans faute et encore jusqu’à maintenant je n’ai pas peur de dire que je tiens mes promesses.

Si je dois évoquer un épisode majeur dans ma carrière, je dirais que c’est quand j’ai donné naissance à ma toute première série “Les mots du Silence”.

Pour la petite histoire, nous devions créer une série photo pour passer notre examen de fin d’année. Je m’étais toujours promise de rendre hommage aux Sourds, j’avais très envie de changer le regard des personnes encore réticentes envers cette communauté dont je fais partie. C’est en me concertant avec mon chéri que nous avons trouvé qu’il serait bien de créer des portraits-signes en retranscrivant le mouvement un peu comme la technique du light painting.

La série a connu un vif succès sur Internet. J’ai fait et je fais encore des expositions, et j’ai aussi remporté des concours photo. J’ai même donné naissance à un livre sur la Langue des Signes Française qui s’intitule “Signence”, en collaboration avec l’artiste Eve Allem.

signence-livre-jennifer-lescouet

Son style

Quel parcours, et quelle force ! Vraiment je suis admiratif. Quels impacts a eu ce parcours sur ton style photographique ?

J’aime l’idée de retranscrire les émotions chez mes modèles. Grande fan des clichés sur le vif et au naturel, j’ai tendance à braquer mon 70-200 de loin mais très proche du visage et donc de l’émotion. J’adore quand la personne découvre son portrait et me dit qu’elle pensait ne pas être aussi photogénique. C’est à partir de ce moment-là que je me dis que j’ai rempli mon devoir et que j’ai réussi. Cela me fait toujours énormément plaisir et me prouve que j’ai trouvé ma voie.

Une photographie réussie à mes yeux, c’est une photographie qui dégage des émotions. Elle parle, elle communique avec nous sur des sentiments profonds. Si une image n’évoque rien, si nous la regardons sans ressentir le moindre sentiment, alors ce n’est pas une photographie digne de ce nom.

Ses anecdotes

Je te le confirme : au-delà de la technique, l’émotion prime toujours en photographie. Du coup, quel est ton meilleur souvenir associé à ton activité ?

J’ai eu l’occasion de travailler avec une équipe d’artistes sourds. Il s’agissait de sortir un livre regroupant des portraits de femmes Sourdes avec des histoires passionnantes pour chacune d’entre elles.

Il faut savoir que lorsque j’ai des shootings ou des reportages, la plupart du temps avec des entendants, je “reste connectée” c’est-à-dire que je garde mes appareils pour bien entendre ce qu’on me dit. Alors je peux vous dire que j’ai adoré le fait de pouvoir allier mes deux plaisirs : travailler dans le silence, et réaliser des portraits. Comme le titre du livre, c’était vraiment une expérience “Inouïe” !

Effectivement, ce dû être une sacrée expérience. Dans la même logique, as-tu alors une photo ou une série particulièrement marquante de ta carrière à nous partager ?

Je joins quelques photos de la série “Les mots du Silence” évidemment, l’histoire étant expliquée plus haut.

Ses projets

Nous arrivons déjà à la fin de ce vingt-septième “Parole de Photographe”. L’occasion de nous parler de tes projets dans les mois à venir !

Comme j’ai emménagé dans une nouvelle région, il faut que je me constitue toute ma nouvelle clientèle afin de reprendre les séances de façon quasi quotidienne. En prévision : beaucoup, beaucoup de communication… et surtout, l’achat d’un nouvel appareil beaucoup plus performant.

Un dernier mot ?

A cause de mes démons développés durant mon enfance et mon vécu, j’ai parfois du mal à me valoriser, à avoir confiance en mon travail. Je photographie avec mes yeux, avec mon cœur : photographier les enfants, l’amour et tous les événements heureux que la vie peut nous apporter est mon domaine de prédilection. C’est ma thérapie, mon bonheur.

J’encourage toute personne qui souhaite vivre ses rêves. Oui c’est difficile, mais si nous nous donnons les moyens alors ce n’est pas impossible ; d’ailleurs.. “impossible n’est pas français” (citation prêtée à Napoléon I).

Où trouver Jennifer Lescouët ?

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